Les guérisseurs et guérisseuses corses sont les gardiens d’un savoir ancestral, car ils ont su préserver la richesse et le mystère de leurs pratiques traditionnelles. Ce voile d’énigme contribue à la puissance et à l’efficacité de leurs rituels. Comme dans d’autres régions ou cultures, il existe plusieurs types de guérisseurs en Corse, chacun se distinguant par ses fonctions et ses méthodes.

Aujourd’hui, je vous invite à découvrir les « Signadores », une catégorie spécifique de guérisseurs dont j’ai eu le privilège de recevoir la transmission en 2012.

Partons ensemble à la découverte de ces praticiens spécialisés, dont la pratique continue de fasciner et de soulager la souffrance de celles et ceux en proies aux négativités.


 

  • Les signadores : qui sont-ils ?
  • L’oeil : symbole de lumière et de mystère
  • Le rituel des signadores : une double démarche
  • L’ochju dans la tradition corse
  • Transmission et initiation : la magie de Noël
  • Incantesimu : le rituel des signadores
  • Une tradition vivante et essentielle


Les Signadores (ou signeurs) sont le plus souvent des guérisseuses dont la fonction principale est de « signer » le mal. Grâce à un rituel spécifique impliquant des prières et des gestes sacrés, ils identifient et purifient les maux, via un exorcisme par l’eau et l’huile. Selon les régions, ils sont aussi appelés Incantadores (enchanteurs), un terme faisant référence aux incantations ou formules récitées durant le rituel.

Dotés de la capacité de chasser et de briser les influences néfastes, les Signadores agissent tant sur le corps que sur l’âme, en utilisant des prières appelées pridantule.

Leur mission principale consiste toutefois à lever l’ochju (le mauvais œil), dont ils sont les spécialistes depuis des siècles.


Traditionnellement, l’œil (ochju) est associé à la lumière, car il reçoit et réfléchit les rayons lumineux, permettant ainsi la perception et la connaissance. Il symbolise aussi la communication subtile, capable d’agir sur l’environnement de manière invisible. Cette capacité de « toucher à distance » confère à l’œil un pouvoir parfois perçu comme magique.

Cependant, l’œil peut devenir un vecteur d’influences néfastes, particulièrement lorsque des paroles de jalousie ou d’admiration envieuse y sont associées. Ce mauvais usage crée une force perturbatrice (le mal d’ochju) pouvant affecter le bien-être physique et psychique d’une personne.

Paradoxalement, l’œil est également porteur d’une énergie positive, favorisant la clairvoyance et l’accès à une connaissance supérieure. Il devient alors un outil de révélation, de protection et d’élévation spirituelle.

Cela montre à quel point le symbole de l’oeil n’est pas de nature nocive, mais qu’il prend sa polarité selon les intentions en pensées et en paroles, de celui qui les émets.

Dans la pratique des signadores, ces deux aspects coexistent :

  • Aspect maléfique : symbolisant les forces obscures (magie noire, envoûtements, pollutions psychiques) naissant consciemment ou inconsciemment de l’envie, de la jalousie, du désir et de la possessivité.
  • Aspect bénéfique : révélant la vérité et permettant de rompre les influences négatives grâce à une vision intérieure éclairée. C’est donc l’oeil au sens de la perception intérieure et de sa capacité à réceptionner et émettre les énergies lumineuses qui sera utilisé par les signadores pour rompre le mal.


Le rituel des Signadores va bien au-delà de simples gestes extérieurs. Il s’inscrit dans une dynamique spirituelle et psycho-énergétique profonde, avec deux axes principaux :

  1. Perception exotérique : Identifier les influences externes qui parasitent la personne.
  2. Approche ésotérique : Mettre en lumière le lien entre les expériences vécues et la vie intérieure de l’individu, en révélant les aspects émotionnels et psychiques sous-jacents.

Contrairement à ce qui est véhiculés dans le milieu des rites de purification, de dégagement et d’exorcisme, la dimension exotérique ne doit pas insuffler à la personne en souffrance, des croyances délètères et ou le sentiment d’être une victime. Une telle attitude maintient l’individu dans une coupe (auto-envoutement) au point de l’ensevelir sous une montagne de dévalorisation et de résignation, lui faisant perdre peu à peu le contact avec sa nature propre. La peur est omniprésente dans de telles situations, et sa présence amène à se couper progressivement de ses racines (stabilité intérieure, confiance, ancrage) et de sa capacité de résilience (transformation et dynamique de progression).

Quant à la dimension ésotérique, elle nous permet d’entrer dans l’archétype le plus profond associé à l’oeil : celui d’être le miroir de l’âme ou le reflet de nos états intérieurs. L’âme représente alors toute la dimension émotionnelle et psychique de l’individu. Correspondant au plan astral chez les occultistes, elle incarne dès lors les désirs, les émotions, les sensations et les projections psychiques qui animent et influencent l’Homme.

Les symboles et prières utilisés dans le rituel jouent un rôle crucial pour harmoniser ces deux dimensions, offrant à la personne une transformation profonde et durable. Ce sont des vecteurs de forces spirituelles pour la guérison de l’âme.


En Corse, le mal d’ochju (annuchjatu) peut provenir des vivants (innochju) ou des défunts (imbuscata). Il affecte particulièrement les individus rayonnants, tels que les enfants ou les personnes charismatiques. Les symptômes incluent :

  • Maux de tête, nausées, fatigue, insomnie, malchance.
  • Tensions énergétiques causant des blocages physiques et psychiques.

Pour contrer ces effets, plusieurs gestes et paroles sont transmis dans la culture populaire. Par exemple, répondre à un compliment hypocrite par une bénédiction (Chi Dio bénédicta : que Dieu te bénisse) ou utiliser le « signe des cornes » pour détourner l’énergie négative.

Si vous me permettez une petite digression syncrétique, le signe des cornes n’est pas une posture anodine des doigts, on la retrouve dans différents courants dans lequel il revêt une symbolique similaire. Par exemple, dans le Bouddhisme, cette gestuelle correspond au mudra Karana. Son action permet de se préserver de toutes les énergies négatives, d’éloigner les influences abstraites et esprits perturbateurs ainsi que d’enlever les forces d’énergies contraires ou courroucées d’une personne, d’un animal ou d’un objet.

J’ajouterai au sujet des symptômes apparaissant en présence du mal d’ochju, qu’ils mettent en lumière une notion de contraction et de perturbation des énergies internes, provoquant un mal-être physique et/ou psychique (émotionnel). Pour bien en comprendre la nature, rappelons que les influences dites abstraites (magie, mauvais oeil…) génèrent une voûte au niveau de la personne, d’où le terme de « envoutement ». Celle-ci se retrouve alors coupée de son énergie masculine, si l’on se réfère à la tradition Taoïste. Ainsi, la circulation harmonieuse des énergies du Ciel (masculine, cosmique, Yang) et de la Terre (féminine, tellurique, Yin) dans le central central s’effectue difficilement, au point de générer un état de pesanteur de plus en plus intense. Cela conduit à couper les énergies internes de leurs mouvements (énergie dynamique, Yang) amenant progressivement un état de stagnation et de ralentissement causant une difficulté à éliminer les toxines vibratoires. Face à une telle situation, c’est l’énergie yin qui prédomine (excès), au point de conduire à une passivité au niveau physique, psychique et spirituelle.


La transmission des savoirs des signadores est un moment sacré qui s’effectue exclusivement dans la nuit du 24 au 25 décembre. Cette période, correspondant au solstice d’hiver, symbolise le retour de la lumière après la nuit la plus longue de l’année. C’est précisément durant cette phase que nous sommes invités à vivre une intériorisation de plus en plus profonde et intime avec nous-même. Une opportunité nous est ainsi offerte pour renouer le contact avec nos être, symbolisé par l’enfant de lumière, l’octave supérieure de notre enfant intérieur.

C’est aussi dans le calendrier un moment dédié à Saint Jean d’hiver associé à Saint Jean l’Evangéliste. Il est considéré comme le gardien des portes des Dieux, en relation avec le solstice d’hiver. Cette donc une étape importante pour qui souhaite accéder aux grands mystères qui mènent l’être humain (Homme ancien) et l’état suprahumain (Homme nouveau). Le seuil de la porte solsticiale est une interface entre les mondes souterrains et célestes.

Ce passage est une frontière temporelle et spirituelle propice à la magie et les vibrations si particulières qui sont à l’oeuvrent la nuit de Noël, apportent ainsi un voile de protection pour la transmission des secrets.

L’initiation des signadores en cette période est empreinte de spiritualité :

  • Connexion intérieure : Le futur initié se prépare à accueillir le don sacré en renouant avec son essence profonde, son enfant ou être de lumière.
  • Puissance du solstice : Le solstice est une passerelle entre les ténèbres et la lumière, propice à la transformation spirituelle. D’un côté l’ombre nous amène à nous confronter à ce qui est caché et enfoui au plus profonde nous-même et à passer par une nuit noire de l’âme, tandis que de l’autre côté la luminosité bienfaisante du soleil invaincu (sol invinctus) nous inonde de clarté, réchauffe nos coeurs et nourrit notre esprit.

La prière transmise à Noël ne peut être écrite ni révélée en dehors de ce cadre sacré. Cette tradition garantit la préservation du mystère et de l’intégrité de la pratique. Cependant, il existe une occasion spéciale autorisant l’écriture de la prière, c’est celui de la messe de minuit. Avant d’y assister, le signadore effectue le rituel et inscrit l’incantation sur un papier, puis il se rend à l’église pour la célébration. Ainsi, le rituel de la messe aura consacrée la prière en lui apportant une aura supplémentaire. Une fois la cérémonie terminée, le morceau de papier est brûlé.

Pour celles et ceux que cela intéresse, la période de Noël est également propice pour briser tout envoûtement et effectuer des rituels de purification. Dans le cas d’une pratique de dégagement ou d’exorcisme, il est conseillé de la débuter quelques instants avec que sonne les douze coups de minuit. Ceci afin de faire « croiser » la prière.


Le rituel utilisé par les signadores pour conjurer le mauvais œil (crucia ochju) est appelé incantesimu. Il est important de rappeler que le rituel doit être pratiqué par celui ou celle qui a reçu la transmission du rituel et de la prière durant la nuit de noël.

Nous pouvons considérer ce rite comme une séance de purification où plus exactement comme un exorcisme de l’âme. C’est un procédé de dégagement et de libération lorsque des influences abstraites parasitent une personne, que ce soit un tiers ou nous-même.

Pour rappel, l’action des signadores intervient face à des phénomènes abstraits (mauvais œil, envoutement, magie, mauvais sorts, pollutions psychiques…) et lors de situations perçues comme anormales et dont la sensation amène à penser que le malchance se déchaine (problèmes financiers, symptômes sans causes médicales, soucis dans le couple et les relations en général…).

Le rituel dont il est question, fait appel à 4 « médecines », pour reprendre les propos de Charles Rafael Payeur lorsqu’il évoque les supports et symboles utilisés en théurgie et dans le chamanisme. Ces 4 moyens opératoires sont l’eau, le feu, l’huile et la couleur blanche.

  • L’eau agit comme un miroir réfléchissant tout en permettant de révéler les secrets (ce qui est caché). En tant qu’élément servant d’interface entre les mondes, il permet de faire le lien et de mettre en relation. Il est également étroitement lié à la purification, la bénédiction ainsi qu’à la libération. Son action est donc de laver et de dissoudre les énergies négatives.
  • L’huile, dont la symbolique est étroitement liée à celle de l’olivier, en tant qu’arbre sacré dans plusieurs traditions. L’huile se retrouve ainsi au centre des rites de purification. Elle permet de concentrer les forces divines afin d’accéder à la nature profonde des choses. Elle incarne la puissance de l’infiniment petit. Le signadore se sert de l’huile dans l’eau pour que son oeil voit les profondeurs, qu’il puisse sonder ce qui est caché. Versée dans l’eau, l’huile deviendra alors l’oeil qui permet de rendre visible ce qui est invisible, discerner le vrai du faux. Ce liquide est considéré comme noble au même titre que le lait, le miel et le vin.
  • Le feu quant à lui évoque la lumière, la purification, la chaleur et la vitalité. Par son intermédiaire les influences solaires (énergies cosmiques et célestes) peuvent oeuvrer sur le plan physique afin d’aider la personne à retrouver son axe et son rayonnement intérieur. Sa symbolique est double, car si le feu représente l’aspect émission et actif de cet élément, la flamme elle, représente le réceptacle, celle qui accueille le feu pour qu’il puisse s’exprimer. Dans la symbolique Chrétienne le feu est associé à l’Esprit Saint.
  • Et enfin la couleur blanche, qui n’échappe pas elle aussi à la notion de purification et de pureté. C’est une couleur qui réfléchit la lumière, par conséquent, son usage est là pour faire incarner et diffuser la lumière.

Effectuons une nouvelle digression au regard des symboles utilisés dans l’incantesimu et de la tradition Taoïste. Nous pouvons remarquer qu’il s’agit majoritairement de remèdes de nature Yang, en tant qu’antidotes à l’excès d’énergie Yin vécu par le sujet. Rappelons que le phénomène de voûte (l’envoûtement) le place alors dans une posture où il se sent « coupé » des énergies cosmiques (Yang) qui le nourrit et l’anime.

Concernant le rituel, si la mise en application reste codifiée, il est courant de voir apparaître quelques variantes selon les régions de Corse. Habituellement, le signadore va suivre 5 étapes pour mener à bien son exorcisme : la consécration, l’ouverture, la lecture des signatures, le dégagement et la fermeture. J’ai moi-même appris l’incantestimu selon deux méthodes.

La première étape est un moment à ne surtout pas négliger, elle est à la pierre angulaire grâce à laquelle le signadore va pouvoir effectuer sa pratique en toute sécurité. Après s’être préparé, il consacre le lieu et le matériel déjà disposé sur la table. L’espace dans lequel il officie devient alors un sanctuaire, un autel sacré prêt à recevoir les énergies spirituelles et complètement hermétique aux influences négatives.

Le matériel utilisé lors du rituel sera placé sur la table, selon un ordre précis et dont les objets peuvent varier d’un signadore à l’autre. Nous pouvons ainsi retrouver sur l’autel de l’incantesimu :

  • Un tissu blanc dans lequel placer le témoin de la personne. 
  • Un verre transparent et une assiette blanche.
  • De l’huile et de l’eau.
  • Une ou plusieurs bougies blanches.
  • Une image de la Sainte Vierge.
  • Une nappe blanche.

Ensuite vient le moment de procéder au rituel pour s’assurer s’il y à présence d’une influence négative ou non. Selon le cas auquel il est confronté, le signadore devra effectuer le dégagement et refaire le rituel, si nécessaire, et cela jusqu’à 3 fois dans la même journée. Selon la situation, il pourra même envisager de procéder à une neuvaine avec la prière de l’incantesimu, avant de prodiguer un nouveau rituel.

Quelques précisions concernant la pratique des signadores : 

  • Les témoins peuvent être de nature différente selon le contexte. Il peut s’agir d’un linge blanc (t-shirt, mouchoir, chaussette, …) que le sujet aura porté au moins 1 heure. Dans certains cas, comme avec le mouchoir en papier, il est recommandé de l’avoir sur soi toute la journée. Il est aussi possible d’utiliser un mèche de cheveux, un peigne ou tout autre objet appartenant à la personne et qu’elle aura utilisé récemment (dans la journée). Elle doit veiller à ce que personne d’autre qu’elle-même ne touche le linge ou l’objet quand elle l’aura enlevé et jusqu’à ce qu’elle l’amène au signadore. Pour les animaux, il faudra prélever quelques poils.
  • En aucun cas on ne saurait, pour les « signatures » à l’huile comme à sec, se faire payer. Il est d’usage d’offrir un petit cadeau sous forme de denrées alimentaires (œufs frais, volaille, gâteaux, café…) ou quelques souvenirs qui feront plaisir à l’exorciste mais dans ces cas précis : jamais d’argent.
  • Le signadore peut aussi opérer à sec en faisant la prière et les gestuelles sur la tête de la personne.
  • Lorsque le mauvais œil s’évacue, l’officiant baille souvent, ou rote.
  • Il arrive aussi que la personne atteinte ressente un poids sur la poitrine ; cela signifie que le mauvais œil vient d’un vivant. Mais si cette pesanteur se situe au niveau du ventre, c’est un mort qui est à l’origine du mal.
  • La prière utilisée seule permet de se défaire de l’énergie négative de la journée.
  • Lorsque l’on rentre dans un lieu chargé (plombé), il est possible de faire une gestuelle particulière en récitant la prière afin de dégager les énergies qui nous envahissent.
  • Pour le travail à distance, le rituel s’effectue de la même façon, à une différence près : l’objet que la personne aura donné sera déposé sous l’assiette et il sera enveloppé d’un linge blanc. Si la personne envoie son objet, il est recommandé qu’elle l’enveloppe dans un papier d’aluminium afin d’éviter toute absorption d’autre fluide.


Les Signadores incarnent l’héritage vivant des guérisseurs corses, un savoir ancestral qui allie mystère, puissance spirituelle et transformation personnelle. Leur pratique, loin de se limiter à un simple exorcisme, invite chacun à explorer la relation entre les énergies extérieures et la lumière intérieure.

Dans un monde en quête de sens et d’équilibre, ou la spiritualité à perdue de sa profondeur et de son authenticité,  la tradition des Signadores demeure une source d’inspiration intemporelle, nous rappelant que le véritable pouvoir réside dans la clarté et la bienveillance de nos intentions. 


N’hésitez pas à consulter les deux vidéos consacrée aux Signadores.